France - De Jean-Pierre Jeunet - Avec Audrey Tautou, Mathieu Kassovitz, Rufus, Yolande Moreau, Isabelle Nanty, Artus de Penguern, Urbain Cancelier, Dominique Pinon, Jamel Debbouze, Maurice Bénichou, Claude Perron, Michel Robin, Clotilde Mollet, Lorella Cravotta... et la voix d'André Dussollier - Scénario : Guillaume Laurant, Jean-Pierre Jeunet - Productrice : Claudie Ossard - Directeur de la photographie : Bruno Delbonnel - Chef décorateur : Aline Bonetto - Compositeur : Yann Tiersen - Distributeur : UFD - Durée 2h - Sortie : 25 avril 2001

Critiques

critique paru dans le CinéLive n°45 d 'Avril 2001

Attention, ce film va vous volez le coeur... et vous allez adorez ça. Pour son retour sur sa terre natale, alors qu'on pouvait le croire sur le point d'être dévoyée par la déshumanisation galopante du tout-numérique hollywoodien, Jean-Pierre Jeunet effectue la plus spectaculaire des cabrioles : Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ne sera pas un tentaculaire voyage dans le cyberspace, mais un aller simple vers l'intimisme, l'émotion la plus pure. Pour raconter l'histoire d'Amélie, 20 ans, serveuse au grand coeur qui veut faire le bien autour d'elle, Jeunet ne lésine pourtant ni sur les moyens ni sur les obsesions qui le taraudent depuis toujours : nostalgie d'un Paris de l'enfance à la recherche de l'âme perdue, visitation d'un immeuble peuplé de trognes invraissemblables, collections obsessionnelle des bonheurs du quotidien, poésie émerveillée des histoires d'amour lunaires... Sorte de Reader's Digest de la "psyché Jeunet" (période Foutaises/Delicatessen), Le fabuleux destin d'Amélie Poulain promet pourtant, en fait de surplace thématique, un tour dans le grand-huit du Plaisir Immense.

Et c'est parti dès la première seconde du film, quand l'enfance d'Amélie défile en accéléré. Pas besoin de grand-chose : Amélie engloutissant dix framboises (une par doigt) ou disant adieu à son poisson rouge suicidaire, abandonné dans un ruisseau : l'anecdote, chez Jeunet, est le dénominateur commun d'une enfance remémorée comme un jardin merveilleux mais aussi, parfois, comme une triste boîte à souvenirs. Adulte, indépendante et installée dans son appartement vermillon du XVIIIè arrondissement, Amélie va bientôt échaffauder des plans insensés pour aider son prochain. Il y a la buraliste du café où elle travaille, qui cherche l'amour sans le savoir, il y a le commis de l'épicier, sujet à toutes les humiliations, ou bien encore la concierge, jamais remise du départ de son bien-aimé... Pourtant, quand c'est à son tour de trouvé la félicité au gré d'une histoire d'amour avec un étrange garçon qui collectionne les Photomaton abandonnés, Amélie va repousser jusqu'au bout le bonheur promis...

Chapelet de moments magiques délicatement enchâssés par un artisan-cinéaste rompu à la mise en scène "atmosphérique" du quotidien, Le fabuleux destin..., ambré de sépia, joue sans ambrage le jeu de l'appel à l'imaginaire, et le recours, humble et révérencieux, à la poétique de l'image de l'Âge d'or : Prévert, Carné, Boubat comme autant de jalons inépuisables de l'âme franco-parisienne. Jeunet a beau filmer le Paname le plus ranci par des décennies de clichés (Sacré-Coeur, bars typiques et p'tites pépées), son amour des gueules et du tendre typage, son décalage permanent avec les contingences temporelles (mais en quelle année sommes-nous ?) comme avec le bon goût bien carré, transfigurant son inépuisable hymne au bonheur fugace, qui ne se permet jamais de dire plus que ce qu'il montre.

Au sommet d'un édifice fragile mais paradoxalement imposant, pétri d'humour humaniste et dégorgeant d'élucubrations visuelles, Audrey Tautou, radieuse, inscrit son visage de madone douce-amère sur le fronton des plus beaux monuments dédiés aux actrices hors du temps. Naïve et candide, manipulatrice dépourvue de recul comme de cynisme, son Amélie est un personnage comme on n'y croyait plus - il suffit de la séquence du baiser, boulversante, pour ne plus rêver que d'elle -, que ni Lewis Carroll ni René Clair n'auraient pu renier. Autour d'elle, l'aéropage de comédiens mené par une Isabelle Nanty délirante en hyponcondriaque lorraine (mais citer les uns est affreusement injuste pour les autres), parachève cette délicieuse sensation de retrouver une certaine "douce France" idéale, proche de nous mais loin du bruit et de la fureur, et de flotter doucement dans l'ether du 7ème Art, longtemps, longtemps, longtemps après avoir quitté la salle de cinéma.

Grégory Alexandre

En deux mots : Entre ciel et terre, une éblouissante démonstration de la maestria technique de Jeunet, qui n'en oublie pas pour autant des personnages typés avec l'amour de l'artisan-cinéaste . En un mot comme en cent, un film de rêve, un film parfait. Vive la France !

 

critique paru dans Premiere n°290 d'Avril-Mai 2001

Je m'appelle Amélie jolie. Il y a beaucoup de choses que j'aime beaucoup, peu que j'aime peu et pleins de gens que j'aime plein. Surtout Nino Quincampoix, collectionneur de Photomatons abandonnées. Lui, je l'aime d'amour, mais vu que je n'ose pas lui parler, c'est pas gagné. Alors, à défaut de faire mon bonheur, je fais celui des autres. C'est bien, aussi.

Le bonheur a encore frappé! C'est fait de petits riens, de détails quotidien, de remarques anodines et ça suffit à faire un film. Car Jean-Pierre Jeunet sait qu'il n'y a pas de mauvais scénarios, et le prouve en racontant (avec Guillaume Laurant, déjà présent sur les dialogues de La Cité des enfants perdus) une histoire dont le fond tient sur un ticket de rétro : le bonheur, c'est simple comme un coup de pouce. Celui d'Amélie Poulain, en l'occurrence, qui change le destin de chacun(e). Or qui dit chacun(e) dit plusieurs, et c'est dans cette profusion de mondes sympathiques que le metteur excelle à laisser aller ses attentions obsessionnelles. Ses portraits listés et ses annotations visuelles rappelleront évidemment à certains la très vendue Première Gorgée de bière de Philippe Delerm, mais c'est ignorer qu'il y a onze ans déjà, Jeunet usait du mode "j'aime, j'aime pas" dans son court-métrage Foutaises.

Son Fabuleux Destin... est d'ailleurs construit comme une foultitude de courts assemblés, procédé éminemment casse-geule car nécessitant de l'huile d'osmose pour assaisonner le rythme. Et c'est bien parce qu'il n'y a aucune baisse d'icelui que le film passe comme une première gorgée de petit lait. On commence par déguster. Et puis on se goinfre parce qu'il y en a à prendre à chaque image, de la même façon qu'on se gavait les yeux avec Delicatessen. Si soignée et cadrée au millimètre, l'image, qu'on croit à un effet spécial par seconde. Alors que presque pas du tout. A la limite, quelques trucages en post-prod : des ciels qu'on change, une image qu'on ripoline...

Mais la facture est surtout due aux lumières et à la mise en scène, pas toujours si compliquée d'ailleurs. Exemple, le manège de Montmartre, classique du chromo-ciné parisien que Jeunet filme simplement d'un coup de travelling, mais à la vitesse pile-poil et dans des couleurs légèrement surannées mais pas trop. Le bon dosage, quoi. Comme celui des comédiens : un peu de Rufus touchant, de Kassovitz pittoresque, de Benichou émouvant, de gueules de cinéma comme Cancellier, Nanty, Robin, Pinon évidemment... Il y en a comme ça tout un générique, tournant autour du fil rouge aux grands yeux noirs, Audrey Tautou, porte-parole malicieux d'un auteur dont il serait dommage de confondre le style nostalgique et racé (un film de Jeunet se reconnait au premier coup d'oeil) avec une naïveté dépourvue de recul. Tout doux, tout chou et pas du tout mou, Le Fabuleux Destin... n'a rien d'un film à la mode (qui se veut au cynisme, au montage tachycardique, ou les deux à la fois). C'est du spectacle tout public, de la carte postale fédératrice... Et puis du cinéma, surtout. Avant tout.

Christophe Carrière

 

 

UN ENCHANTEMENT DE TOUS LES INSTANTS

Rare sont les films qui se tiennent de bout en bout et vous procurent un sentiment de pur bonheur jusqu’au mot fin. C’est le cas de ce nouveau et magnifique long métrage de Jean-Pierre Jeunet dont nous vous conseillons de le découvrir le plus vierge possible d’infos. Après DELICATESSEN, LA CITE DES ENFANTS PERDUS (co-réalisés avec Marc Caro) et ALIENS RESURRECTION, le réalisateur nous offre avec LE FABULEUX DESTIN D’AMELIE POULAIN , son film le plus personnel et de loin le plus réussi, le plus enthousiasmant. On y retrouve sa “ patte ”, son univers onirique et un sens inné du détail et de la perfection (mention spéciale pour les décors) même si le réalisateur a pour une fois laissé un peu de côté le travail en studio afin de tourner en extérieur (Paris a rarement été mis en valeur de cette façon). Mais, surtout, Jean-Pierre Jeunet a su insuffler à son film ce qui manquait, peut-être, aux trois pré-cités, un véritable supplément d’âme et d’émotion.

AMELIE PAS MELO…

Deux heures durant, il nous entraîne sur les traces d’Amélie, jeune fille timide, serveuse dans un bar de Montmartre. Amélie qui cultive un goût particulier pour les tout petits plaisirs, adore observer les gens. A 22 ans, elle a décidé de faire le bien autour d’elle, de réparer la vie de ceux qui l’entourent. Tous les stratagèmes sont bons pour intervenir, incognito dans leur existence. Une quête du bonheur qui va l’amener à rencontrer un curieux Prince charmant, Nino Quincampoix “ comme la rue ” qui partage sa vie entre un sex-shop et un train fantôme mais surtout collectionne les “ chutes ” de photomaton. Il se dégage de ce conte de fées à la fois une grande modernité mais aussi une formidable mélancolie, à la mesure de sa bande originale signée Yann Tiersen. Le destin d’Amélie, pas mélo pour deux sous, est follement enivrant et distille un parfum délicieux d'années 50 même si son réalisateur a su, comme à son habitude, le rendre totalement intemporel.

LA MAGIE DE L’ENFANCE

D’ou vient le fait qu’un film vous procure un bonheur aussi intense, une jubilation de tous les instants ? Peut être dans ce qu’il va chercher dans l’intime de chacun (La boîte à souvenir, le plaisir d’un mot lu et relu dans une lettre oubliée…)… Il use et abuse d’idées toutes plus jolies et sublimes les unes que les autres : le nain de jardin qui fait son tour du monde, le jeu de piste d’Amélie pour Nino, le poisson suicidaire, le dialogue des photos d’identité, l’homme de verre, le souffleur de rue, le poinçonneur de lauriers…

AU BONHEUR DU SPECTATEUR !

Jean-Pierre Jeunet pose un regard plein de tendresse sur ses personnages, tous hauts en couleurs et formidablement croqués. Le scénario passe habilement et avec une incroyable fluidité de l’un à l’autre sans en oublier un seul en route et en évitant avec maestria le piège du cynisme. Certes, tout ou presque est rose dans le film mais tel est son but assumé, Amélie a fait le choix de réparer les cafouillages de la vie des autres et Jean-Pierre Jeunet, lui, a décidé de s’occuper de ceux d’Amélie et du bonheur de ses spectateurs. Pari gagné très haut la main avec ce film en état de grâce porté par des dialogues réjouissants et un casting enthousiasmant (il faudrait tous les citer). LE FABULEUX DESTIN D’AMELIE POULAIN est un film magique qui ramène au meilleur de l’enfance, celle du rêve, lorsque les nuages prennent vie et formes humaines. Il ravive des sensations oubliées ou trop enfouies et dont le souvenir provoque d’incroyables bouffées d’émotion. On en sort profondément heureux avec l’envie de tomber amoureux dans l’instant. L’envie également, et surtout, d’y retourner et d’entraîner au plus vite tous ceux que vous aimez, tant son souvenir parvient à vous émouvoir, sentiment rare et délicieux….

Jean-Luc Brunet

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